Les promoteurs influents n’ont pas l’intention de se laisser barrer la route des profits. Certains sont à la tête d’organismes officiels ou de quelques bandes qui, aujourd’hui, tentent de se partager le territoire à coups d’assassinats. Les constructions sur les rivages constituent des sources de revenus gigantesques. Se placer en travers de leur route c’est risquer gros.
Villas de Piantarella, construites avec la bénédiction du maire de Bunifaziu et de l’État en bordure de l’étang, dans une Znieff de type 1, inconstructible en application du schéma d’aménagement de la Corse.
Le rouleau compresseur est en marche. Si une majorité de personnalités corses ne se lève pas aux côtés des associations, si un Padduc protecteur des terres n’est pas voté, un « système mafieux » sera définitivement au pouvoir en Corse. L’île est aujourd’hui au centre d’une guerre pour ses rivages. Une guerre pour les profits qui laisse toute place à une mafia, c’est-à-dire (mettons du sens sur les mots) à une organisation criminelle dont les activités sont soumises à une direction occulte et qui repose sur une stratégie d’infiltration de la société civile et des institutions.
Un long processus nous a conduits jusque-là. Dans les années soixante/soixante-dix, des banquiers, des princesses, des people de la jet-set aux portefeuilles bien remplis achètent la Corse. Ils reçoivent la bénédiction de l’État et celle de la Setco (Société pour l’équipement touristique de la Corse), créée dès 1957. Dans leurs cartons, des desseins immobiliers, dont la plupart n’ont pas abouti : les attentats ont eu raison d’eux.
Certains projets cependant ont été concrétisés : c’est ainsi qu’ont vu le jour quelques clubs sur de très belles plages, quelques lotissements de grand luxe (Sperone) et aujourd’hui la réalisation par la banque Lefèvre de plus de cinquante villas à Rundinara.
Dans ces temps-là, la grande majorité des Corses applaudissait à la lutte.
Aujourd’hui, quarante ans plus tard, les mêmes sites sont visés. Les mêmes objectifs de profit motivent leurs auteurs. Les mêmes conséquences sur la destruction des paysages, sur l’appropriation illégitime et illégale d’espaces remarquables. Seule différence : l’exploitation est conduite par certains Corses au bénéfice de quelques Corses nantis, privilégiés ou encore bien placés.
Les premiers, les « investisseurs » des années 60 avaient le soutien de l’État, de certains maires et des financiers. Ils s’entendaient entre eux pour se partager de grands domaines et s’approprier des km2 (L’Agriate, La Testa, Palumbaghja, Coti et les terres du pénitencier…).
Les seconds, ceux des années 2000 ont toujours le soutien de l’État et de certains maires mais ils ne « coopèrent » pas complètement sur les terres à se partager.
La non-application de la loi Littoral. En 1986, la loi Littoral, adoptée à l’unanimité du parlement français, aurait dû protéger le littoral de la Corse. Mais il eut fallu que l’État l’applique. Tel ne fut pas le cas.
En effet, à cette date, très peu de communes disposaient d’un plan d’urbanisme et la compétence d’application de cette loi revenait aux autorités centrales. Mais la volonté étatique était déjà, l’expression est connue, de faire de la Corse le bronzodrome de l’Europe. Aussi, avec l’aval de l’État, des pans entiers du littoral ont été rendus illégalement constructibles. Purtivechju en est l’exemple le plus significatif, mais il en est d’autres tels Piantarella/Sperone…
Et les permis de construire se multiplient.
Les associations prennent le relais. Devant la non-application de la loi, devant le triste constat des décès, des années de prison, des souffrances de ceux qui se battent à leur manière pour empêcher la bétonisation du littoral, plusieurs associations (nées à la fin des années quatre-vingt) donnent naissance dans les années quatre-vingt-dix à un Collectif pour l’application de la loi Littoral. Parmi elles : Le Garde, U Levante, APLAPDL Association pour le libre accès aux plages et au domaine littoral , ABCDE, U Polpu…
Mais il faut se rendre à l’évidence : il est impossible d’attaquer les milliers de permis de construire. Il eut fallu des moyens colossaux… dont elles ne disposent évidemment pas.
Les associations doivent se contenter d’actions de sensibilisation.
Plan de développement et d’aménagement durable de la Corse. Vient alors la préparation du Padduc. Ce plan, qui s’impose à tous les documents d’urbanisme de rang inférieur, vise à tracer la voie pour la société à construire. Aux commandes, les élus de l’assemblée et de l’exécutif, Camille de Rocca Serra et Ange Santini affichent leur volonté de désanctuariser la Corse. Une expression qu’ils traduisent par le déclassement d’espaces remarquables qui, d’inconstructibles, prennent le statut de constructibles… pour des projets immobiliers déjà bouclés et prêts à sortir des valises bien entendu.
Certaines que le Padduc « passerait », de nombreuses communes se mettent à élaborer leur PLU dans l’esprit d’un projet de société basée sur l’économie résidentielle. Construire le plus possible devient la règle. Sur le littoral de préférence. Ce Padduc reçoit même la bénédiction de l’État, illustrée notamment par un avis favorable au Conseil des sites.
La suite, chacun la connaît…
Une situation de plus en plus tendue. Malgré le rejet du Padduc, les PLU préparés dans l’optique d’un Padduc tout résidentiel et tout béton tentent de « passer ». L’État n’exerce pas de contrôle de légalité et ne leur fait aucun barrage. Les associations du Collectif pour la loi Littoral, se voient alors dans l’obligation se suppléer et d’agir en justice. Elles demandent l’annulation des documents d’urbanisme des communes où la pression spéculative immobilière est la plus forte.
Et, devant l’étendue des illégalités, le tribunal administratif ne peut faire autrement que de les annuler.
Ainsi en 2011, sont annulés les PLU de Bunifaziu, Sarte, Ulmetu, Sarra di Farru, Purtivechju, Coti Chjavari, Calcatoghju, Ota (partiellement) et la révision du POS de la pinède de Calvi et du cordon lagunaire de La Marana, commune de Borgu.
Violence. Mais ces actions gagnées par les associations portent à conséquence. Les promoteurs influents n’ont pas l’intention de se laisser barrer la route des profits. Certains sont à la tête d’organismes officiels ou de quelques bandes qui, aujourd’hui, tentent de se partager le territoire à coups d’assassinats. Les constructions sur les rivages constituent des sources de revenus gigantesques. Se placer en travers de leur route c’est risquer gros. Les personnes, engagées, militantes ou encore celles ayant assuré un quelconque leadership dans ce combat juridique, sont soumises à des pressions et violences tant physiques que psychologiques (1). Des attentats contre certains adhérents sont perpétrés. Des intimidations ou des menaces plus directes à l’intégrité des personnes sont proférées. Et certains maires mettent sans vergogne de l’huile sur le feu en jetant des noms en pâture, dans des discours publics ou des lettres ouvertes.
Sur la voie de cette société mafieuse, que fait l’État ? Les annulations des documents d’urbanisme étant suspensives, c’est donc à lui de faire appliquer le droit. Mais fera-t-il appliquer ce qu’il a refusé hier, en contradiction avec sa stratégie première qui consiste à résoudre le problème corse en rendant le peuple corse minoritaire sur son territoire ? Quelques indices ne rendent pas optimistes. Le préfet par exemple, prépare en grand catimini un nouvel atlas des espaces remarquables. Info à traduire concrètement par une possibilité de construire sur certains espaces jusque-là reconnus scientifiquement comme relevant du patrimoine public. La tendance actuelle se mesure également au rythme de 5 500 permis de construire accordés tous les ans depuis déjà plusieurs années avec un rythme croissant en exponentiel. C’est sans compter les nombreuses constructions illicites.
La récente déclaration du Préfet à Purtivechju et son déni du droit relève du fait du prince. « Patrick Strzoda indique que 70% des dossiers ont reçu un avis favorable malgré l’annulation du PLU », peut-on lire dans Corse matin. Et le journal poursuit la citation : « On parle beaucoup de violence… ce fléau, ce cancer, qui contrecarre un projet de développement auquel aspire la grande majorité de la population. Nous sommes déterminés à lutter contre ces phénomènes, c’est bien pour garantir de l’avenir de la Corse. L’avenir de la corse, il est dans le développement”.
Ces propos sont d’une violence extrême. Cette simplification de la réalité économique et sociale ne peut être que voulue.
Voilà pourquoi le rouleau compresseur est en marche. Voilà pourquoi, pour reprendre nos premiers termes, si une majorité de personnalités corses ne se lève pas à nos côtés, si un Padduc protecteur n’est pas voté et appliqué, le « système mafieux » que l’on pourra appeler le système corse sera définitivement au pouvoir. Le pire est à venir.
1. Aucun membre des bureaux des associations du Collectif pour la défense de la loi Littoral n’a été entendu par la Commission antiviolence de l’assemblée de Corse