La transformation de pagliaghji en habitations est un acte illégal

Quatre questions à Benoist Busson,
Avocat spécialiste du droit de l’environnement et de l’urbanisme.

Le phénomène semble avoir démarré à Murtoli. De plus en plus de pagliaghji (paillers, cabanes) sont transformés en habitations ou résidences secondaires à des fins locatives et spéculatives. La Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) a récemment dénoncé ce procédé qui condamne l’agriculture.

Puis-je transformer un pagliaghju ou une bergerie en bon état, en habitation ?

Sur des terres agricoles : c’est non.
Le zonage A (agricole) limite les constructions au fait qu’elles soient strictement liées aux activités agricoles. Seule exception : quand la construction est indispensable pour accueillir l’exploitant. Est censuré, par exemple, le pavillon en zone A pour le fils de l’agriculteur.
De même un gîte rural, considéré comme un édifice hôtelier non nécessaire à l’activité agricole, est interdit (Conseil d’État, arrêt du 14 février 2007).

Sur des espaces naturels : en principe c’est non.
• Sur les espaces naturels, zonage N, le changement de destination, même non soumis à déclaration ou à permis de construire, doit respecter le PLU (L421-8 CU). En zone N d’un PLU, sont interdites, en principe, les constructions donc la réaffectation à usage d’habitation d’un bâtiment agricole. Le règlement du PLU interdit normalement ce changement de destination.
• Sur des espaces remarquables (zonage Nr ou Ar), que l’on soit agriculteur ou pas, un bâtiment agricole ne peut être transformé en habitation (cf. L146-6 : zone Natura 2000, site inscrit/classé, Znieff 1 en Corse en application du schéma d’aménagement de la Corse de 1992), voire d’ailleurs même pour un usage agricole (cf. R146-2).

Puis-je transformer une ruine (pas de toit, murs effondrés…) de bergerie ou de pailler en habitation ?

C’est non. Sauf si…
Dans un zonage A ou N ou Nr: il faut démontrer qu’il y a eu un sinistre depuis moins de 10 ans (cf. L111-3 CU). La reconstruction à l’identique est obligatoire et il faut démontrer, si la construction a moins de 40 ans, qu’il y avait un permis de construire en bonne et due forme.
Le même article prévoit qu’en cas d’intérêt architectural certain, on peut rebâtir des ruines sans limite de temps, mais c’est exceptionnel.
L111-3 : « La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d’urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié.
Peut également être autorisée, sauf dispositions contraires des documents d’urbanisme et sous réserve des dispositions de l’article L. 421-5, la restauration d’un bâtiment dont il reste l’essentiel des murs porteurs lorsque son intérêt architectural ou patrimonial en justifie le maintien et sous réserve de respecter les principales caractéristiques de ce bâtiment. »

Puis-je construire à côté d’une ruine de bergerie ou de pailler ?

De très strictes conditions.
• En zonage N (naturel), pas de construction en principe.
• En zonage A (agricole) il faut examiner le règlement mais quoi qu’il en soit la construction doit avoir pour but un usage agricole.
• Sur les communes riveraines du littoral, en espace remarquable, aucune construction n’est autorisée, sauf agricole et à certaines conditions très strictes. De façon générale, le schéma d’aménagement de la Corse et la loi Littoral (art. L146-4-I CU), interdisent toutes nouvelles constructions en secteur pas ou peu urbanisé. Sur ces communes seules sont autorisées les installations agricoles sources de nuisances qui doivent donc être éloignées des constructions et à certaines conditions strictes (art. L146-4-I al. 2 du CU), y compris en zone A.
• Par ailleurs, en l’absence de PLU, de carte communale et en dehors des communes littorales, l’article L111-1-2 CU autorise aussi, à certaines conditions, la réfection et le changement de destination de constructions existantes « à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales ».

Jusqu’où peut-on discuter la notion de ruine ?

C’est une question d’actualité. En effet, en droit des sols, tout se mêle : histoire, architecture, lettres aux «autorités».

Ainsi, le maire de La Bastide-Clairence (Pyrénées-Atlantiques) doit faire face à la pugnacité de certains de ses administrés. Le scénario de base du litige, porté devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, est a priori assez classique.Deux pétitionnaires souhaitent obtenir un permis de construire en zone non constructible, et plus précisément en zone naturelle classée strictement protégée en raison de la qualité de ses paysages. Pour obtenir une dérogation à l’interdiction de construire, ils entendent faire jouer la mécanique prévue par l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme, et notamment le cadastre napoléonien. Selon ce texte, et malgré toute disposition d’urbanisme contraire, peut être autorisée la restauration d’un bâtiment dont il reste l’essentiel des murs porteurs, lorsque son intérêt architectural ou patrimonial en justifie le maintien et sous réserve de respecter les principales caractéristiques de ce bâtiment. Or, justement, la demande des pétitionnaires porte sur une maison d’habitation « ancienne » : elle apparaît sur un extrait du cadastre napoléonien !
Cependant cette bâtisse n’est plus représentée qu’en pointillé sur l’actuel cadastre, observe le juge. Elle n’est imposée ni à la taxe foncière, ni à la taxe d’habitation.
Selon le juge administratif, dans de telles conditions, la construction, qui ne comporte qu’un seul mur et des fondations, doit être regardée comme une ruine et non comme une construction existante.
Aussi, le projet décrit dans la demande de certificat d’urbanisme doit-il être considéré, ainsi que l’a estimé à bon droit le maire, comme une construction nouvelle à usage d’habitation, sans pouvoir bénéficier du régime de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme. Recours politiques – Inutile, par ailleurs, d’invoquer des dégâts commis par la tempête de décembre 1999, ou encore que le bâtiment présenterait un intérêt architectural et patrimonial particulier compte tenu de son état. Non sans malice, le juge administratif relève les qualificatifs employés par les requérants eux-mêmes, dans différents courriers envoyés au préfet, au ministre chargé du Logement et, même, au président de la République.
Ces lettres détaillent un ensemble composé d’un « mur entier » et de « 50 cm de mur », plus les fondations sur trois autres côtés. Et mentionnent, de façon assez maladroite, « une bâtisse en ruine »…
En savoir plus : CAA Bordeaux, 6 septembre 2011, req. n° 10BX02824

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