Espaces Stratégiques Agricoles et jugements de la Cour Administrative d’Appel

ARRÊTS DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE DU 24 MAI 2019 SUR LE PADDUC : UNE PREMIERE ANALYSE

Saisie des différents recours de la Collectivité de Corse ainsi que de communes, d’associations et de particuliers se plaignant du classement de leurs terrains en espace stratégique agricole ou en espace remarquable, la Cour Administrative d’Appel de Marseille a rendu, le vendredi 24 mai 2019, pas moins de 11 arrêts relatifs au PADDUC.

Premier constat : Les recours sont tous intégralement rejetés, la Cour Administrative d’Appel confirmant les jugements rendus par le Tribunal Administratif de Bastia en mars, avril et mai 2018, qui avaient annulé le PADDUC seulement en tant qu’il arrêtait la carte des espaces stratégiques agricoles (ESA) et classait dans ces espaces certains secteurs sur les communes de Peri.

Les arrêts rendus par la Cour valident donc, pour l’essentiel, le PADDUC. En particulier, les reproches qui étaient faits à ce document de violer le principe de libre administration des collectivités territoriales ou celui de l’interdiction de toute tutelle d’une collectivité sur une autre, sont jugés infondés par la Cour administrative d’appel. De même, les juges de Marseille estiment que le PADDUC respecte le principe d’équilibre et que le dispositif de protection des ESA est conforme aux dispositions légales et réglementaires en vigueur. La cartographie des plages, celle des espaces remarquables, et la déclinaison commune par commune des ESA sont validées. 

Le PADDUC sort donc renforcé et légitimé de la procédure devant la Cour administrative d’appel. 

En ce qui concerne les ESA, la Cour s’est contentée de tirer les conséquences procédurales de l’absence de recours de la Collectivité de Corse contre les jugements du Tribunal Administratif de Bastia en tant que ceux-ci avaient annulé la carte des ESA pour vice de procédure.

Faute de recours, cette annulation était, dès lors, devenue définitive.

Il est vrai qu’il aurait été inutile de contester l’annulation de la carte des ESA, car les projets de carte communiqués par les responsables de la précédente Collectivité durant l’enquête publique de 2015 étaient incontestablement faux :

– pendant le premier mois de l’enquête, il manquait une bande nord/sud de 300 mètres de large ;

– pendant le deuxième mois il manquait 10 000 hectares d’ESA … qui avaient été inexplicablement effacés.

Pour la Cour, la carte étant annulée, les demandes des requérants tendant à obtenir l’annulation du classement en ESA de leurs terrains pour erreur manifeste d’appréciation, et celle de la Collectivité de Corse qui, à l’inverse, contestait l’annulation par le Tribunal Administratif du classement en ESA d’un secteur sur la commune de Peri, n’avaient plus lieu d’être. La Cour ne s’est donc pas prononcée sur ces demandes.

Les arrêts précisent à cet égard :

« aucun autre document du PADDUC ne permet de délimiter les espaces stratégiques agricoles que les cartes des espaces stratégiques agricoles. En effet, les critères figurant tant dans le règlement que dans les livrets, s’ils désignent les critères d’éligibilité aux ESA ne permettent pas de déterminer ou d’identifier lesdits espaces avec certitude».

En d’autres termes, la Cour a estimé que l’annulation de la carte rendait inutile toute discussion sur le bien-fondé du classement de tel ou tel secteur en ESA, puisque cette annulation entrainait nécessairement celle du classement desdits secteurs.

L’analyse de la Cour apparaît, sur ce point, assez discutable, car les ESA sont localisés sur plusieurs autres cartes annexées au PADDUC, notamment la carte de la destination générale des sols, dont l’échelle est certes plus petite que celle des ESA mais restait quand même assez précise. 

On ne peut sur ce point que s’étonner de lire, dans deux des arrêts, que la Collectivité de Corse n’a “pas affirmé qu’il existe dans le padduc un autre document que la carte des ESA» emportant classement de terrains en ESA. S’agit-il d’un oubli de la part de la CdC ? C’est en tout cas regrettable, car la décision de la Cour aurait sans doute été différente si son attention avait été attirée sur l’existence des autres cartes.

Pour autant, contrairement à ce que laissaient augurer les conclusions du rapporteur public, la Cour d’appel n’a pas considéré que les dispositions réglementaires du PADDUC relatives aux ESA sont indissociables de la carte et que l’annulation de celle-ci entraîne nécessairement l’annulation de celles-là.

Les dispositions réglementaires du PADDUC relatives aux ESA restent donc opposables. Elles devront être respectées par l’État et par les communes pendant le délai qui sera nécessaire à la Collectivité de Corse pour adopter une nouvelle carte.

En pratique, cela signifie qu’aucune autorisation d’urbanisme ne pourra être délivrée sur des secteurs qui répondent aux critères d’éligibilité des ESA (potentiel agropastoral ou présence d’équipements d’irrigation et pente inférieure à 15 %), et ce, malgré l’absence de carte.

Reste à savoir si l’État, qui jusqu’à présent n’a pas brillé dans le domaine (voir, sur son site internet, les nombreuses publications d’U Levante sur les projets consommant des ESA depuis 2015), exercera enfin un contrôle de légalité digne de ce nom pour empêcher l’artificialisation accélérée de nos terres agricoles. Aussi, U Levante regrette le refus de madame la Préfète de signer le protocole proposé par l’Exécutif en vue d’améliorer l’effectivité des contrôles pendant la période intermédiaire qui nous sépare de l’adoption de la nouvelle carte et qui n’augure rien de très bon à ce propos.

Reste également à savoir si la Collectivité de Corse, au-delà des déclarations d’intention, sera capable d’adopter une nouvelle carte avant la fin de l’année 2019, et déférera, avant cela, les permis de construire qui seront délivrés sur des ESA.

Et surtout si cette carte présentera les mêmes garanties que la précédente, seule une modification à la marge de la carte de 2015 étant justifiée et acceptable. La grande concertation avec les maires voulue par le président de l’Agence de l’urbanisme, dont on peut craindre, à un an des élections municipales, qu’elle vire à la discussion de marchands de tapis, ne rend certes pas très optimiste. 

Mais une chose est certaine : U Levante ne baissera pas la garde et dit son opposition, avec toute la détermination qui s’impose, à toute tentative, qu’elle soit ou non politiquement assumée par la majorité territoriale, de réduire de manière significative la superficie des ESA, tels qu’ils ont été identifiés sur la carte de 2015.