Le recours en annulation exercé, début Juin dernier, par les associations U Levante et Garde contre le Plan Local d’Urbanisme de Serra-di-Ferro fait, depuis quelques semaines, l’objet d’une vive polémique orchestrée par certains responsables communaux et un collectif de propriétaires mécontents.
En substance, les associations sont accusées de vouloir empêcher, par une interprétation trop rigide de la loi Littoral, le développement des hameaux «historiques» de la commune de Serra-di-Ferro, et ce, au profit des zones déjà urbanisées du littoral. Selon les auteurs de ces critiques, le recours intenté par les associations aurait, en cas de succès, des conséquences désastreuses pour la commune : désertification de l’intérieur, spéculation accrue sur le littoral, augmentation du prix des terrains avec, pour corollaire, l’impossibilité pour un grand nombre d’habitants d’offrir un toit à leurs familles.
Cette présentation, fort habile, est néanmoins très éloignée de la réalité des faits.
Sous couvert de s’inscrire dans la tradition historique de la commune et de chercher à faciliter l’accès au logement des habitants de Serra-di-Ferro, le P.L.U. ouvre en réalité la voie à une spéculation effrénée.
Que l’on en juge :
- Le P.L.U. rend constructibles 420 hectares d’espaces naturels et agricoles – superficie sans précédent pour une commune de cette taille –, alors même que Serra-di-Ferro compte déjà 75 % de résidences secondaires – pourcentage le plus élevé de Corse – et que, selon la municipalité elle-même, la population permanente de la commune n’augmentera pas au cours des dix prochaines années.
Il n’est, dans ce contexte, pas sérieux de soutenir que le P.L.U. a été conçu pour satisfaire les besoins en logement des habitants de la commune ou de leurs enfants. A l’évidence, l’écrasante majorité des permis de construire qui seront délivrés sur la base de ce P.L.U. le seront pour des résidences estivales. C’est du reste déjà le cas depuis de nombreuses années dans cette commune.
- Le P.L.U. crée, autour des hameaux « historiques » de la commune, des zones constructibles extrêmement vastes, qui s’étendent très au-delà du périmètre d’implantation des habitations existantes. Pour le seul hameau de Tassinca, qui dénombre aujourd’hui une trentaine de bâtisses circonscrites dans de petits périmètres, sont prévues trois zones constructibles d’une surface cumulée de 50 hectares.
En l’état, les anciens hameaux de Serra-di-Ferro sont donc voués à la dénaturation, puisqu’ils seront rapidement cernés par des lotissements et autres centres de vacances.
La municipalité est donc bien mal inspirée de se prévaloir de l’héritage historique de la commune pour justifier de tels choix d’aménagement, d’autant que ces derniers sont totalement contraires à la loi Littoral.
Or, il était parfaitement loisible à la municipalité, si elle avait vraiment souhaité développer ces hameaux tout en préservant leur authenticité, de créer autour d’eux de petits périmètres constructibles présentant les caractéristiques d’un « hameau nouveau intégré à l’environnement » au sens de la loi Littoral.
L’urbanisation de ces secteurs est donc légalement possible, à condition qu’elle reste raisonnable et qu’elle ne remettre pas en cause la nature même des hameaux existants.
- Par ailleurs, le P.L.U. en violation flagrante de la loi, permet l’urbanisation de certains sites naturels protégés (à Cupabia et à la pointe de Porto-Pollo), ne respecte pas la bande des 100 mètres (à l’entrée de Porto-Pollo et à l’ouest du port) et rend constructibles environ 200 hectares d’espaces agricoles de forte potentialité, ce qui apparaît assez peu compatible avec la volonté affichée par la mairie de respecter l’héritage historique de la commune.
L’action en justice initiée par les associations U Levante et Garde ne procède donc pas d’un juridisme excessif ni d’une vision rétrograde de l’aménagement du littoral corse, contrairement à l’image caricaturale que la municipalité de Serra-di-Ferro se plaît à en donner auprès de sa population. Elle vise seulement à faire sanctionner les illégalités à la fois graves et nombreuses qui entachent le P.L.U. de la commune, et à préserver ce territoire des effets d’une urbanisation incontrôlée.
Enfin, alors que les associations ont toujours recherché le dialogue avec la municipalité, le maire s’est opposé, avec constance, à toute espèce de concertation, en refusant de les faire participer à l’élaboration du P.L.U., alors qu’elles ont légalement qualité à le faire, puis en ne tenant aucun compte des observations qu’elles lui ont adressées à l’occasion de l’enquête publique puis dans le cadre d’un premier recours gracieux.
Il est, dans ces circonstances, particulièrement pénible de constater que, pour se justifier auprès de leurs administrés et masquer leur incapacité à élaborer un document d’urbanisme dans le respect de la loi, le maire et ses adjoints n’hésitent pas à jeter l’anathème sur les associations, au prix de contrevérités et de simplifications grossières. Il s’agit là d’une attitude gravement irresponsable, que l’on observe hélas de façon désormais presque systématique lorsqu’une association conteste un document d’urbanisme en justice.
Si, à l’heure où la terre de Corse fait l’objet de pressions spéculatives d’une intensité sans précédent dans son histoire, les difficultés que rencontrent les municipalités pour élaborer leurs documents d’aménagement ne sauraient être sous-estimées, il est plus que jamais nécessaire que nos élus exercent leurs prérogatives dans le strict respect des règles d’urbanisme, en particulier de la loi Montagne et de la loi Littoral.
C’est là une condition déterminante de la préservation du patrimoine naturel de notre île, dont nous avons tous, collectivement, la responsabilité.
Associations GARDE et U Levante, Collectif pour la loi Littoral
Haut de la page